DOD selon Isabelle Autissier | navigatrice

“ La quête du bonheur n’est pas un hédonisme ”. Voilà, c’est dit sans affect, sans hausser le ton, comme une évidence. L’interlocuteur est prévenu. S’il devait se réincarner, Dod serait chevalier de la Table Ronde, courant le monde, la gratuité du geste au cœur. Il a choisi la montagne car il n’a pas dû trouver mieux en terme d’engagement personnel. Aucun parcours de vie ne lui a paru aussi élégant que de se hisser en permanence, de se glisser là où les pierres côtoient le ciel.

Reprenons :
Lionel Daudet, dit Dod; 40 ans, natif de Saumur qui n’est pas connu pour être le creuset de l’alpinisme.

Taille moyenne, sec, brun aux yeux marrons, barbu après trois semaines de mer.

Signe particulier : ne possède plus qu’un doigt de pied et demi. Mais à le voir danser sur ses crampons, on en vient à penser que les orteils ne sont que des appendices d’ornement. Il a laissé les autres, au creux d’une souffrance immense, intense, au cours d’un solo hivernal dans la face nord du Cervin, ou peut-être ne les a-t-il qu’échangés contre une certitude, celle qui mène sa vie, celle qui lui souffle de s’accrocher encore et toujours à la beauté du geste. Je sais qu’il y a appris dans son corps la prééminence de la nature. Il a aussi appris à lâcher prise et à bien le vivre. Il peut, maintenant, ne pas aller trop loin. L’orgueil de s’accomplir là où les autres ne vont pas sait céder devant l’acceptation, la sérénité du renoncement. Dans un sens cela me rassure. Je ne me vois pas aller le chercher dans l’une de ces parois verticales qu’il affectionne.

But dans la vie : Ecrire une belle histoire, se donner à un paysage, à une bande de potes, s’abandonner aux instants que je devine sublime où rien n’existe d’autre que quelques millimètres d’une prise, que le crissement du piolet, que la force infinie de la montagne.

Caractéristique sonore : rire effrayant, sorte de hennissement qui éclate à n’importe quel moment et fait tourner les têtes dans les restaurants pourtant bruyants d’Ushuaia. Le rire de Dod s’apparente à celui du Mozart de Losey. Il est total comme son propriétaire.

Goûts littéraires : revues de motards et de VTT, opus de poèmes, essais philosophiques... Diversité quand tu nous tiens...

Activité subsidiaire : l’écriture. A l’occasion du repos forcé occasionné par ses pieds raccourcis, Dod a commencé à écrire. Cela devait arriver, car à trop côtoyer la force et la beauté, il vous vient une furieuse envie de crier que c’est cela l’important. Au delà de la description technique, parfois absconse, de l’escalade, Dod, a mille mots pour enchanter la pierre, pour décrire sa vie en vertical, pour expliquer comment son corps et son esprit se font paroi, se font vent, se font roc, jusqu’à s’oublier et se laisser happer par la lumière du haut. Chacune de ses phrases appelle pour moi sa similitude marine, me renvoie à ces instants où l’on respire à l’unisson des vagues, où l’on se fait nuage, houle et voile pour mieux entrer en harmonie.

Aptitude à la navigation : Dod est curieux, rustique et longanime. C’est une bonne base. Il saura apprécier la force de la mer et s’y donner sans marchander.

  • Tolérance à l’ennui : nulle.
  • Tolérance au compromis : faible.
  • Confiance en lui : totale.
  • Détermination : infinie.

Reste une question :
à quoi cela lui sert-il d’escalader des montagnes juste pour le plaisir, et jusqu’à quand cela va-t-il durer ?

Réponse de l’intéressé :
“ Aujourd’hui, je peux arrêter, continuer pendant vingt ans, faire autre chose, peu importe. Je me sens plein de sérénité, d’un fatalisme joyeux pour la vie, quoiqu’il arrive, même si je devais mourir demain. ”

Extrait de « Versant Océan » (ed Grasset)